« La saga des Conti », documentaire de Jérôme Palteau

« La saga des Conti », documentaire de Jérôme Palteau

L’HISTOIRE de documentaire de Jérôme Palteau « SAGA DES CONTI »

Le 11 mars 2009 la direction de Continental à Clairoix annonce brutalement à ses 1120 salariés la fermeture de leur usine. 18 mois auparavant, deux syndicats (CFTC et CGC) avaient signé un protocole de retour aux 40 heures sous la promesse du maintien du site au moins jusqu’en 2012. Un symbole du « travailler plus pour gagner plus » est abattu.

Les premiers jours c’est la colère. Puis le mouvement s’organise en comité de lutte rassemblant les salariés au-delà des appartenances syndicales, puis ensuite en rupture totale avec les confédérations.

L’histoire relate le conflit sur plusieurs mois, dans ses grandes étapes, mais aussi et surtout en coulisses, au plus près de ses acteurs : Xavier Mathieu, Roland Szpirko, et quelques autres. On y découvre la mise en œuvre d’une stratégie inédite, on assiste à sa montée en puissance au jour le jour, à une combinaison d’actions judiciaires, de coups de force, de diplomatie et d’opérations de relations publiques.

Un compte à rebours est enclenché qui va conduire inéluctablement les salariés à la conclusion d’un plan social désavantageux, à moins qu’ils ne réussissent à faire plier la direction avant la date fatidique. La tension va monter progressivement à travers différents coups de théâtre, jusqu’à la fin des négociations, pour aboutir à un résultat exceptionnel, qui va faire de ce conflit un symbole.

Mais au-delà des chiffres, on assiste à une aventure humaine : des rencontres, des amitiés qui se créent ou des antagonismes qui se révèlent, des disputes aussi, mais une certaine fraternité qui ressuscite dans l’adversité…la naissance d’une tribu.

C’est donc un autre film qui s’est construit pendant le conflit : un film sur l’amitié, l’histoire d’un groupe d’hommes et de femmes (surtout d’hommes, il faut bien le reconnaître) confrontés à un défi qui engage leurs vies, les péripéties d’une bande de copains.

Au cours du conflit, et après celui-ci, dans l’intimité, des ouvriers portent un regard sur leur travail, la société, la crise…s’interrogent sur leur avenir, et révèlent ce que ce combat a changé en eux. Ils racontent leur aventure à la fois collective et individuelle, livrent leur propre analyse des évènements, leur vision d’un monde qui change : subjective, mais souvent pertinente et lucide. Une peinture d’un certain monde ouvrier en mutation.

SYNOPSIS

Je passe devant l’usine tous les matins de la semaine en allant déposer une demi-douzaine d’enfants du village, dont les miens, au collège à Compiègne. J’habite Clairoix depuis 1992 et je connaissais un certain nombre des 1120 salariés qui y travaillaient. Cette usine était le fleuron industriel de la région depuis 75 ans, le premier employeur de la région, et son nom était associé au village, qui a longtemps bénéficié de la manne financière qui en découlait.

Jusqu’alors, je ne me sentais concerné que de loin par les problématiques de fermetures d’entreprises et par les conflits sociaux qui s’en suivaient, comme un spectateur devant sa télévision : je compatissais…

Mais lorsque le 12 mars 2009 au matin je vis tous les ouvriers assemblés devant l’usine, autour d’un feu de pneus, je pris brutalement conscience de cette réalité. Dans ma voiture, la radio annonçait la fermeture du site et traitait du conflit qui venait d’éclater… et j’en avais les images réelles devant moi !

J’ai eu envie de raconter leur histoire dont l’intrigue allait se dérouler tout près de chez moi.

A l’origine, la fermeture du site était prévue pour mars 2010. Un couperet tombe, et on annonce une lente agonie ! Une question me taraudait alors : comment peut-on vivre et travailler dans une usine dont on sait qu’elle va fermer dans un an ? Comment envisage t-on l’avenir pendant cette période ? Comment peut on trouver l’énergie et la motivation au travail en attendant l’échéance fatale ? Je décidai d’entreprendre un travail d’enquête et de rencontres pendant toute l’année qui allait suivre, à travers quelques portraits d’ouvriers et de leurs familles.

A cette époque, je pensais faire un film sur la résignation, mais les Conti ont changé le cours de l’histoire : le travail dans l’usine n’a jamais vraiment repris, puis des actions nombreuses et spectaculaires se sont enchaînées à un rythme effréné. J’ai dû alors changer mes projets.

Au fil des semaines, alors que ma présence régulière aux côtés des ouvriers m’a permis de gagner leur confiance, ils m’ont ouvert les coulisses de leur combat. J’ai été autorisé à filmer les conversations confidentielles au cours desquelles une véritable stratégie s’est élaborée.

Pris dans l’action, je réalisai petit à petit l’intérêt de la façon dont la lutte était menée, et ses enjeux. J’assistai surtout à l’émergence de personnages qui allaient tout changer, notamment les leaders : Xavier Mathieu, Roland Szpirko, et quelques membres du comité de lutte, des personnalités complexes, passionnantes, dont j’ai pu dresser les portraits, et qui prennent la parole.

Je n’avais jamais vécu un conflit social de l’intérieur auparavant, et mon opinion sur les syndicats en général était plutôt vague, or ces syndicalistes là se sont révélés hors normes. Ils ont mené leur « bagarre » comme ils disent, d’une manière tout a fait originale, qui n’est pas sans rappeler celle des LIP trente cinq ans plus tôt. J’ai eu rapidement la conviction que cette affaire n’allait pas en rester là et qu’il fallait rester pour en témoigner, son dénouement m’a ensuite donné raison : les Conti ont arraché à leur direction un plan social exceptionnel, au-delà de leurs espérances.

Si la tension a été forte pendant tout le conflit, il y a eu aussi des moments de fête, de franche rigolade, de communion même, et qui ont marqués les esprits autant que le combat. Ce sont les meilleurs souvenirs qui leur restent aujourd’hui.

Je veux raconter ces moments d’émotions intenses, que les CONTI m’ont fait partager durant cette aventure ! Car si la lutte a révélé ou transformé beaucoup d’entre eux, il en va de même pour moi : j’ai l’impression de revenir d’un long voyage, un voyage au pays des Conti.

J’ai connu des dizaines d’entreprises, pour y avoir fait autant de films institutionnels.
J’aime l’industrie : le bruit, l’odeur de l’huile de coupe sur les copeaux d’acier, les ateliers, les lumières, les étincelles, les machines…les gens.
La plupart des ouvriers que j’y ai rencontrés sont fiers de leurs usines, de leurs machines, même si les conditions sont souvent difficiles, et même s’ils paraissent parfois s’en défendre.

Cette aventure, je la vis avec les Conti depuis un an et demi, car si le conflit proprement dit est terminé, ils continuent à se réunir régulièrement devant l’usine fermée. Surpris que je fus par la vigueur de leur combat et par leur détermination, j’ai été aspiré par leur mouvement comme dans un torrent, et presque malgré moi, j’ai suivi leur tribu.

Apprendre que l’on perd son emploi quand on a charge de famille, des responsabilités, c’est un véritable drame. C’est comme être un funambule traversant un gouffre, manquant de sombrer dans le vide à chaque pas, il faut le vivre pour le comprendre. Mais l’épreuve, aussi angoissante qu’elle soit, eut l’avantage de créer des liens entre des ouvriers qui ne faisaient que se croiser dans l’usine, au mieux dans l’indifférence. Puis l’adversité a réveillé la fraternité, le combat a suscité la jubilation, l’envie de partager, de vivre ensemble. Là se trouve peut-être une partie de la réponse à une question qui revient souvent : Qu’est ce qui a fait que les Conti sont restés mobilisés en grand nombre et aussi longtemps ?

Comme l’a écrit Régis Debray : « La fraternité cela consiste à faire famille avec ceux qui ne sont pas de la famille… ». Ou encore, faisant allusion au voyage des Conti à Hanovre : « C’est tendre la main à des gens qui ne nous ressemblent pas mais qui sont unis par un combat commun ».

Combien de fois ai-je entendu : « Dire qu’il a fallu qu’on soit virés pour vivre des moments pareils ! » ? Vivre !

Ce que les média ont montré c’est un mouvement collectif, avec ses têtes d’affiches, ceux qui portaient la parole. Mais derrière ce mouvement, il y a des personnes, avec une histoire, une pensée individuelle. J’ai cherché à savoir quelle était cette pensée, au moment où commence l’épreuve, puis progressivement quand évolue le conflit, ce que la lutte a changé en chacun d’eux, puis pour finir après, lorsque chacun rentre chez soi.

Mon immersion dans leur mouvement a suscité son inévitable cortège de questions politiques, sociales et humaines, mais c’est d’abord pour moi l’occasion de rencontres, d’instantanés, d’un portrait du monde ouvrier d’aujourd’hui. Les multiples enjeux que l’on perçoit en filigranes à travers toute l’histoire sont toujours brûlants d’actualité.

L’histoire de ce conflit, c’est un cocktail savant d’individualités qui a réussi à produire du collectif, la mise au jour de ressources humaines insoupçonnées, jusqu’alors enfouies. Et puis tant pis pour le cliché : le combat a ouvert à ces ouvriers la reconquête de leur dignité.

Jérôme Palteau.

 

réalisation : Jérôme Palteau – 2012 –

diffusion : France 3 – Pubilc Sénat

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